Skip to main content
Partager sur

Interview de Céline MAS

5 octobre 2022
Auteure
Marie-Laure Hubert Nasser

Une femme profondément humaine

Présidente d'ONU Femmes France, entrepreneuse sociale, lectrice invétérée et écrivaine, enseignante et passeuse, Céline Mas est une humaniste accomplie et ses combats menés sur tous les fronts avec courage se jouent avec les mots, les actes, les engagements. Pour la justice, pour l’égalité, pour la mixité, contre la pauvreté et bien d’autres causes. Elle nous a accordé son temps précieux. Séquence inspiration !

 Quel est le fil rouge de votre parcours ?

Avec un peu de recul, je me rends compte que ce qui m'a animée depuis l'enfance était toujours la même chose : être passeuse d'un univers à un autre. Apporter à des gens moins chanceux, moins favorisés socialement ou historiquement des raisons d'y croire, des connaissances nouvelles, des outils, de la confiance en eux. Je suis allergique à l'injustice : je n'arrive pas à l’accepter, que j'en sois la victime ou d’autres, c'est pareil. Je suis capable de m'engager totalement dans la cause de quelqu'un si cette personne subit une injustice. 

Professionnellement, j'ai exploré et consolidé mes compétences à travers des entreprises, des agences de communication et un institut d'études d'abord. Je pense que j'en avais besoin pour rassurer aussi mes proches après un parcours scolaire exigeant. Il y a trois ans, j'ai finalement décidé de me centrer encore plus sur ce qui comptait vraiment pour moi. Aujourd'hui, je suis entrepreneure, j'ai cofondé deux projets Love for Livres et Return for Society, j'écris, je conduis des actions bénévoles en tant que Présidente d'ONU Femmes France. Mais tout cela a un lien :


je consacre tout mon temps à des projets à impact positif, à l'accès à la culture et au bien-vivre à travers les livres et à la justice sociale. 

 Parlez-nous de votre entrée au Haut conseil à l’égalité ?

Le HCE (Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes) est une instance née en 2013 par décret du Président de la République et du Premier Ministre. Elle a pour mission "d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité  ».

Elle conduit également des missions d'évaluation des politiques publiques en matière d'égalité, mesure l'impact de lois et émet des recommandations et avis à l'intention du Premier Ministre. 

Je suis fière d'en être membre depuis 2019 en tant que Présidente d'ONU Femmes France. Cette mission bénévole rejoint mes convictions sur la nécessité de regards critiques et constructifs sur les politiques publiques quant à des sujets aussi cruciaux que l'égalité. Je suis aussi persuadée que la diversité des membres du HCE aux parcours divers est un élément de richesse et d'innovation en matière d'analyse et de recommandations. J'ai la chance de faire partie de la Commission Internationale qui traite notamment de la manière dont la France s'engage au-delà de ses frontières pour les femmes et les filles dans un contexte géopolitique pour le moins complexe.

L'un des travaux les plus marquants pour moi fut notre rapport sur les indicateurs de la diplomatie féministe sous l'égide de Martine Storti. Je me suis beaucoup investie sur ce sujet car l'évaluation rejoint une de mes compétences professionnelles. Et puis, sans évaluation, pas d'objectivité sur les progrès accomplis ou les retours en arrière. Pour agir avec justesse, il faut disposer de cette boussole méthodologique et la partager largement. C'était un travail passionnant et qui a conduit à des recommandations concrètes. 

 Votre présidence de l’ONU Femmes, une fierté ?

Je suis engagée pour les droits des femmes depuis 20 ans et membre d'ONU Femmes France depuis 2016 et Présidente depuis 2018 aux côtés d'une fantastique équipe exécutive, bureau et conseil d'Administration. C'est un grand honneur qui m'a été fait, d'ailleurs à ma grande surprise parce que je n'ai pas cherché cette place de Présidente. Je me suis simplement engagée pleinement dans la Vice-Présidence car c'est mon caractère. Quoi que je fasse, j'essaie de le faire avec soin et avec persévérance. 

Je garde de ces 4 ans le sentiment que le monde a accéléré : le covid, les crises climatiques, la crise afghane, la crise ukrainienne notamment. Ces seuls événements quand l'actualité en compte beaucoup d'autres se sont concentrés pendant une courte période de temps. Et ils affectent dramatiquement la situation des filles et des femmes. La violence faite aux filles et aux femmes est loin d'être réglée et déferle en toute impunité dans de multiples pays. Rien qu'en France, 79 féminicides ont eu lieu depuis le début de l'année. Ces derniers jours, les réactions des femmes iraniennes à la mort de Masha Amini forcent le respect. Elles font preuve d'un courage admirable dans la reconquête de leur liberté. En définitive, les difficultés des dernières années ne font que renforcer mon engagement, ma combativité et je l'espère ma créativité. On ne peut pas convaincre sur ce sujet comme on le faisait il y a 20 ans. Il faut d'autres formes de militantisme qui puissent embarquer les jeunes générations, savoir les écouter tout en préservant la richesse de décennies de combat et d'idées pour l'égalité.

Parmi les plus belles rencontres, indéniablement, Phumzile Mlambo Ngcuka. Ancienne Directrice Exécutive d'ONU Femmes au niveau mondial, elle m'a énormément appris. Elle est un mélange de force tranquille, de charisme rayonnant, de convictions justes et de modestie. Je n'oublierai jamais son empathie et sa vision de l'égalité. Une leader au sens noble. 


De ces années à ONU Femmes France, je suis certaine d'une chose : il faut continuer à s'engager car toute inertie ou status quo en matière d'égalité recrée des inégalités.

Le dernier rapport récent de l'ONU évoque presque 300 ans pour atteindre l'égalité réelle ! 300 ans ! Je vais continuer et le ferai toujours d'une manière ou d'une autre au sein de collectifs car c'est en équipe et ensemble, femmes et hommes d'ailleurs, que nous pourrons véritablement changer la donne.  

 L’histoire de votre livre «  Le jour où Maya s’est relevée » ? Comment est-il venu à vous ? Est-ce que les femmes vous en parlent ? Quelques témoignages qui vous ont marquée ? Et vous, le burn out ? Quelques conseils évidents mais pas tant que ça ? 

Il est venu d'une assez curieuse manière. J'avais été sollicitée pour écrire un livre sur les femmes mais je n'arrivais pas à trouver un angle qui soit novateur, quand tant de publications de qualité existent déjà sur ce sujet. Et puis petit à petit, je me suis mise à penser à la question du travail. Peut-être parce qu'à l'époque, beaucoup de personnes autour de moi étaient victimes de burn out. J'étais vraiment intéressée à l'idée de comprendre comment le travail, qui à mes yeux, a beaucoup de valeur pouvait devenir un enfer. A partir du moment où ce cadre était posé, tout est allé très vite. J'ai écris la structure du livre, les personnages, les principaux moments. Puis je me suis dis que je voulais que ce texte soit vraisemblable. Je suis donc allée à la rencontre de 53 personnes victimes de tous milieux sociaux dans la France entière. C'était touchant et instructif. J'ai eu le sentiment de découvrir ce phénomène de l'intérieur. Parmi les personnes rencontrées, je me souviens de ce serrurier qui continuait de faire frénétiquement le geste d'ouvrir les portes et qui avait perdu la mémoire à tel point que son épouse devait mettre des post-it sur le frigo pour qu'il trouve son repas en son absence. J'ai entendu des dizaines de témoignages tous aussi poignants les uns que les autres à la fois de la part des victimes mais aussi de leur famille. La famille partage la douleur et à sa manière essaie de l'accompagner.


Depuis la sortie du livre, j'ai reçu aussi des centaines de messages, d'appels à l'aide parfois, de remerciements. C'est dire à quel point le burn-out est un fait social très répandu.


Ce sont des messages de femmes, de mères mais aussi d'hommes, de maris, de frères, de pères. On parle souvent du burn out comme d'un phénomène plus féminin à cause de la double ou triple charge des femmes, du syndrome de l'imposteur et de la position managériale des hommes plus fréquente. En réalité, il manque une grande étude paneuropéenne ou mondiale sur le sujet. Certains chercheurs disent également que la parole des femmes est plus libérée sur ces sujets liés à des vulnérabilités ou à l'expression d'une souffrance vécue. 

En ce qui me concerne, je n'ai pas connu de burn out malgré ce qu'un communiqué de presse a indiqué ! Je l'ai certainement frôlé mais j'ai toujours pu m'arrêter à temps. Et je suis aujourd'hui très vigilante à me ménager des temps de pause et de loisirs, à profiter de ma famille, à trouver du temps de qualité pour moi seule. C'est indispensable pour mener par ailleurs une vie tambour battant. 

 

 Les livres sont-ils des fenêtres et parfois même des thérapies ? 

Les livres depuis toujours sont des amis, des miroirs, des chemins d'aventure. Ne venant pas d'un milieu très favorisé, lire m'a aidé à me projeter dans la vie et à explorer le monde. A l'adolescence, je trouvais même la lecture parfois plus intéressante que la vie elle-même. Cette passion a été convertie en action avec Love for Livres. Nous proposons de la bibliothérapie à des publics variés (entreprises, particuliers, éducateurs, hôpitaux, personnes réfugiées, personnes en situation d'illettrisme, enfants etc...) pour prendre soin d'eux et pour les aider à se réaliser aux plans personnels et professionnels. La bibliothérapie est une pratique ancestrale mais remise au goût du jour par une bibliothécaire hors-normes Sadie Peterson Delaney. En 1924, on lui propose un poste à l'hôpital de Tuskegee, spécialisé pour les vétérans, en Alabama. La bibliothèque est modeste, 200 livres et une table. Sadie est chargée de créer un service de prêt de livres pour les patients. Elle en fera de l'or en proposant des lectures dites "dirigées", des parcours de lecture sur-mesure pour les patients afin de les aider à retrouver de l'énergie, de la joie, de l'espoir. Elle a nourri les conversations, les dialogues, les échanges. Elle fut reconnue bien plus tard et même citée en exemple par Eleanor Roosevelt. Il se trouve et je l'ai appris récemment, elle était aussi engagée pour le droit de vote des femmes. Alors je me dis que je peux suivre ses pas, en essayant par exemple d'être utile. Mettre en lumière le pouvoir des histoires pour changer le regard de personnes sur le monde ou sur leur propre vie. Les romans sont toujours des possibilités de connaître autre chose, de vivre autrement. C'est cette liberté-là qui nous motive particulièrement chez Love for Livres.  

 Alors, quel livre a fait ce que vous êtes ?

Les 4 filles du Docteur March, et en particulier Jo.

 Quelles sont pour vous les grandes avancées pour la carrière des femmes en France et que nous reste-t-il à faire ? 

Si l'on parle de la France, il y a des avancées indéniables à commencer par la prise de conscience qu'il y avait un cruel retard et qu'il fallait accélérer. Depuis la loi Roudy en 1983, du chemin a été parcouru. En ce sens, on peut saluer les lois Copé-Zimmerman et Rixain, la loi relative au dialogue social en 2015, l'index Penicaud par exemple. Pour autant, cet arsenal et ces outils ne sont pas parfaits et des inégalités importantes subsistent. Pendant le Covid, 21% des mères se sont arrêtées de travailler contre 12% des pères. Trois fois plus de femmes travaillent à temps partiel. La France ne compte qu'une poignée de femmes PDG d'entreprises du SBF 120 et 3 au sein du CAC 40. En 2021, on dénombre 21% de femmes dans les comités exécutifs et les comités de direction du SBF 120. En 2020 selon l'INSEE, l'écart de salaire entre les femmes et les hommes était encore de 22,3%. Le congé maternité ou le recrutement en période de grossesse sont aussi source d'inégalités selon de nombreuses études. Bref, à tous les niveaux, l'égalité professionnelle reste un combat à mener. Il y a de très nombreuses actions à entreprendre mais si j'avais des champs d'initiatives à citer : poursuivre la dynamique d'allongement du congés paternité et permettre les possibilités de promotion de carrière après un congé maternité, renforcer les incitations et les sanctions en matière d'égalité professionnelle à tous les niveaux, travailler à l'évolution de la culture et des mentalités dès le plus jeune âge. On le sait, les stéréotypes se forgent dès l'enfance et c'est essentiel de les déminer dès lors. 

 Ce qui vous donne l’envie de vous lever chaque jour ? 

L'amour des miens. L'envie d'être utile. Le goût des choses simples. 

 Un message essentiel pour les femmes ?

Vous pouvez tout avoir. Il n'est pas juste de se sacrifier parce que d'autres auraient choisi à votre place. Evidemment, cela ne veut pas dire qu'on peut être partout à la fois. A certaines périodes, on privilégiera la famille puis les amis ou le travail. Mais dans le fil d'une vie, on a le droit de vouloir être une professionnelle accomplie, une femme heureuse et une mère épanouie. On a aussi le droit de ne pas vouloir être mère ou de ne pas avoir envie d'un parcours professionnel à hautes responsabilités. Et nos choix ne veulent rien dire de notre valeur. Ils parlent de notre liberté, c'est bien différent. 

 Qu’avez-vous fait de vos vacances ? 

En vacances, famille est le mot clé. J'aime me retrouver avec les miens chez nous en Méditerranée ou dans de nouveaux endroits. Le temps est un autre mot important : je ne porte plus de montre depuis des années, mais en vacances, c'est encore pire, je ne regarde pas l'heure :) 
Et puis, le calme : je coupe tout, je retrouve des sensations égarées dans le bruit et l'intensité de l'année, je me retrouve aussi tout simplement en prenant le temps de penser à mes prochains projets et à mes envies authentiques. Donc j'adore les vacances ! 

 



Céline Mas

Entrepreneure sociale et écrivaine, Céline a évolué pendant une quinzaine d’années au sein de diverses structures avant de cofonder le réseau de conseil spécialisé en impact social Return for Society et l'entreprise sociale Love for Livres pour accompagner des parcours personnels et professionnels via les livres et les sciences cognitives.  Elle intervient à l’ESSEC et est auteure ou co-auteure d’essais professionnels, de rapports publics sur l’égalité, d’un essai sur les femmes et la politique et d’un roman « Le Jour où Maya s’est relevée ».

Céline Mas s’engage également depuis 20 ans pour l’égalité femmes-hommes et les droits humains. Elle est Présidente d’ONU Femmes France, relais en France de l’agence des Nations Unies UN Women.


Ces articles peuvent aussi vous intéresser

Recevez notre newsletter

Actualités et conseils concrets pour évoluer sereinement et positivement
dans votre vie professionnelle et personnelle